Brigitte, Candace, et la travelotte fatiguée

Les femmes trans font de beaux meubles.

Panique à Bord
3 min ⋅ 02/08/2025

Brigitte Macron est-elle secrètement un homme ? Non. Parce qu’elle est ouvertement une femme.

C’est tout ce qu’il y a à dire, d’un point de vue féministe, sur la rumeur lancée par les confusionnistes français et repris par l’influenceuse antisémite et ultra-conservatrice Candace Owens aux Etats-Unis. Comme le monde ne fonctionne pas comme il faudrait, il est nécessaire d’en dire davantage.

Les rumeurs autour de “Brigitte Jean-Michel” tournent depuis des années et font les choux gras de l’univers confusionniste. Ce n’est pas la première visée, comme les débunkers en tout genre ont déjà pris soin de l’expliquer : oui, mille femmes ont déjà été visées par des rumeurs de transidentité, et ont réagi de façon plus ou moins positives. Pour certaines des personnes visées, les allégations sont même implicitement reconnues comme vraies, car il existe des femmes trans, après tout, cela arrive qu’elles ne veuillent juste pas que ça se sache.

Les affaires de “transvestigation” mobilisent de nombreux clichés de la propagande anti-trans : l’idée de la dissimulation, de la manipulation, les allégations d’un complot proche des puissants, d’un statut contre-nature, et quand on creuse davantage, des théories chrétiennes fondamentalistes selon lesquelles les personnes queer existeraient par l’intervention de démons qui chercheraient à manipuler les âmes des mortels, et des théories antisémites sur des Juifs malveillants et contrôlant secrètement la société (les deux étant souvent confondus). Mais ce ne sont pas, pour autant, des affaires touchant réellement les personnes trans.

Les personnes trans sont toujours curieusement absentes du tableau, quand on parle de transvestigation. Celles qui le sont, le sont toujours de façon paradoxale : soit les complotistes prétendent qu’une célébrité trans est en réalité une personne détrans (par exemple, certains prétendent que Dylan Mulvaney est en fait une femme cis, forcée à transitionner en homme, et dont la transition publique est en fait une détransition), soit ils parlent d’enfants et accusent leurs parents de les forcer à transitionner.

Il en va de même des commentaires : les personnes trans n’ont pas voix au chapitre, ne serait-ce que parce que leur vie nécessite de ne pas prendre pour acquis le présupposé de ces polémiques, selon lequel être trans est nécessairement une infamie. Or, les personnes trans ne sont pas infâmes. Ce qui est infâme, ce sont les personnes cis, ou plus précisément la façon dont les personnes cis traitent les personnes trans.

D’ailleurs, les polémiques sur la transvestigation présentent toujours les femmes trans comme des hommes cachés, ce que même les soi-disant “alliés” de la cause trans admettent. Voici ce qu’écrit Louis-George Tin dans Libération cette semaine :

Sur la question transgenre, Lady Gaga et Michelle Obama ont également été confrontées à des rumeurs prétendant qu’elles étaient en réalité des hommes. (...) La palme, sans doute, revient à Grace Jones , à qui l’on demandait si elle était une «vraie» femme, ou bien un homme, et qui répondit : «Je suis bi- en plus que femme ou homme. Je suis Grace.»

Cela écorcherait-il le cul des personnes qui prennent la plume et leurs privilèges pour “défendre” les personnes trans de ne pas dire toute honte bue qu’être une femme trans, c’est être un homme ?

Les polémiques sur la transvestigation, d’un point de vue trans et féministe, permettent à la société cis de jouer aux ombres projetées avec des personnes trans de papier : loin d’individus en chair et en os, en trois dimensions, avec de vraies vies et de vrais avis, les personnes cis, qu’elles veuillent “défendre” les personnes trans ou les attaquer, se fabriquent des figures en deux dimensions avec lesquelles jouer à se faire peur, avant de les jeter à la poubelle. Des monstres de la semaine. Des histoires au coin du feu. Après tout, ça se saurait si les personnes trans existaient, c’est comme les licornes.

Extrait de Sleepaway Camp

Ces termes sont les mêmes au nom desquels les droits des personnes trans sont retirés et les violences contre elles sont justifiées. On retire aux femmes trans le droit de faire du sport, au prétexte que ce serait des hommes caché. Charlie Hebdo publie un texte presque sympathique envers l’assassin d’une femme trans, car il aurait été tout à sa détresse de tomber sur un homme caché : “il ne savait pas”, il était “tout à sa détresse”, ce “gamin”. On enterre sa victime sous les quolibets.

Les journaux progressistes n’invitent pas de personnes trans pour parler de ces sujets. Libération publie Louis-George Tin. Les tables rondes féministes, à l’image de celle récemment organisée par La Déferlante, invitent hommes et femmes cis à débattre des vies trans. On se regarde le genre entre personnes normales.

En tant que femme trans, l’affaire “Brigitte Jean-Michel” ne me concerne pas. Je suis fatiguée que vous ayez peur d’imaginer que je puisse exister.

En tant qu’analyste, cependant, je suis obligée de m’y intéresser. Parce que cette affaire parle du système de genre, parce qu’elle parle du système des médias “indépendants” de droite en ligne. Parce qu’elle parle de cette forme de centrisme qu’on appelle le confusionnisme. Parce qu’elle parle de pourquoi on punit tout le monde pour entretenir la fiction selon laquelle l’humanité est divisée à la naissance en deux classes biologiques indépassables, ceux qui prennent et celles qu’on prend.

Vous me cassez bien les couilles.

Panique à Bord

Par Margot A Mahoudeau

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