Panique à Bord

Actualité, débunkage et analyses des paniques morales conservatrices et réactionnaires

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Par Margot A Mahoudeau
18 nov. · 11 mn à lire
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Kamala Harris a-t-elle perdu à cause du « wokisme » ? (Spoilers : non, c'est pire que ça)

Les analyses se multiplient depuis la réélection de Donald Trump pour lier l’échec de Kamala Harris à la présidentielle de 2024 à l’adoption prétendue par sa campagne du « langage woke » ou de « l’idéologie des campus américains ». S’appuyer sur cette analyse risque de conduire la gauche aux Etats-Unis et en Europe dans une impasse familière.

« Je suis candidat pour vous, elle est candidate pour iel » : c’est la traduction approximative du slogan d’un clip de campagne du Parti Républicain qui, d’après certains experts, aurait conduit au basculement de 2% des Américains sondés.[i] Sans surprise, la réélection du 45e président des Etats-Unis a conduit à une vague remarquable de prises de paroles accusant l’establishment du Parti Démocrate de s’être trop éloigné des discours de « bon sens » et d’avoir fait campagne sur une ligne ultra-identitaire, mettant en son cœur les droits de minorités, au détriment d’une politique de classe et mettant en avant les intérêts de la majorité silencieuse. Et alors que la droite a investi sur la fin de la campagne jusqu’à un tiers de son budget de campagne à attaquer les personnes trans, particulièrement les enfants et les femmes, il est tentant de se dire qu’en effet, c’est son adhésion aux demandes excessives de minoritaires radicaux qui a fait pencher la balance en faveur du candidat Républicain. Malheureusement, c’est aussi faux.

Un président pour quoi ?

C’est aussi facile d’analyser les échecs d’une campagne après qu’elle se soit vautrée que de prédire la météo de la veille. Avec le recul, le lent échec de la campagne des Démocrates en 2024 semble annoncé dès son origine, et avant même la candidature de celle qui allait finir en candidate officielle du parti, dans la présidence même de Joe Biden. Si le mandat de 2020 de ce dernier s’appuyait sur la promesse de ne pas être Donald Trump et d’un retour à un « président normal », il semble que son administration n’a pas su s’adapter aux échecs de la crise liée à l’épidémie de Covid, et notamment à ses répercussions économiques. Le paquet de mesures de relance promis par les Démocrates s’est ainsi réduit au fil des négociations durant les premières années du mandat de Biden, notamment sous la pression de deux des membres les plus conservateurs de la majorité présidentielle, les sénateurs Joe Manchin et Kyrsten Sinema, pour finir dans des versions considérablement amoindries mais surtout, sans une communication forte. Les Démocrates ont ainsi insisté tout au long du processus sur la nécessité de traiter avec justice leur opposition, là où un discours plus populiste n’aurait pas hésité à dénoncer celle-ci comme faisant barrage à la lutte pour la reconstruction d’infrastructures en ruine et surtout à la lutte contre une inflation que la droit a aisément pu attribuer à l’administration en place plutôt qu’aux entreprises, dont la responsabilité est pourtant lourdement présente dans la hausse des prix des biens de consommation courante.

Sur le plan international, l’administration Biden s’est retrouvée face à la scandalisation qu’a causée la flambée de violence au Proche-Orient suite aux attaques terroristes menées par le Hamas en octobre 2023. Une part remarquable du débat s’est alors orientée vers les campus universitaires aux Etats-Unis, accusant ces derniers d’entretenir un climat de haine d’Israël et, à travers l’Etat, de la population juive en général, qui fait face à une flambée non seulement des discours, mais aussi des actes antisémites à travers les démocraties dites occidentales. L’administration Démocrate n’a cependant su appliquer que la réponse en format unique connue par les Etats-Unis depuis le début du 21e siècle face à la situation en Israël-Palestine, puis au Liban, en maintenant le soutien logistique à l’allié israélien, alors même que les images de dévastation se multipliaient. Si les accusations d’extrémisme à gauche ont depuis lors commencé à fuser, la réalité est que, sur le plan international, Joe Biden n’a certainement pas suivi la ligne de ceux qui manifestaient en parlant de génocide des Palestiniens.

Enfin, sur le plan de la communication, Joe Biden n’a pas su se mettre en retrait. L’élection de 2020 était clairement un moment particulier où, après quatre ans d’une présidence Trump durcissant son discours et un an de pandémie peu voire pas du tout prise en charge par le gouvernement fédéral, Biden pouvait arriver à constituer une majorité principalement grâce à la promesse de la « normalité ». C’est même ce critère qui lui avait permis, en dernière instance, de se démarquer de la candidature Sanders, beaucoup plus radicale, message qu’il avait confirmé en allant chercher pour son ticket Kamala Harris, qui était alors bien plus proche de l’aile modérée voire droitière, particulièrement sur le plan économique, du parti, qu’une personne comme Bernie Sanders ou Elizabeth Warren incarnant une ligne plus proche de la gauche (pour ne citer que les candidats en lice en 2020, mais rien n’aurait empêché une vice-présidente n’ayant pas candidaté). Rien ne garantissait qu’un tel partisanisme négatif, consistant à se faire élire grâce au fait de n’être pas Donald Trump, suffirait en 2024, où il avait été nécessaire d’aller justement chercher la figure la plus consensuelle possible pour garantir cette stratégie. Le premier débat de la présidentielle, entre Trump et Biden, alors encore candidat putatif de son parti, a aussi mis à jour que des deux vieux hommes, Biden était le plus clairement au bout de la corde, ce qui a été attribué à des « capacités cognitives déclinantes », réelles ou non. Rien n’aurait empêché le président sortant de prévoir la situation en laissant progressivement Harris s’affirmer comme candidate naturelle, commencer la campagne 106 jours plus tôt, et ne pas avoir à porter l’entièreté de son bilan. Ce n’est pas la stratégie qui a été choisie, avec les conséquences que l’on sait : Harris a fait campagne pendant trois mois, Trump le faisait depuis presque dix ans.

Une candidature pour quoi ?

Outre le flou entretenu par Biden, celui de la candidate Harris elle-même n’a pas manqué de se faire remarquer. Il est vrai que les observations macroéconomiques, et particulièrement le succès d’une politique anti-inflation qui a réussi à ne pas générer de récession, pouvaient donner l’impression d’un succès économique. La vision économique de l’administration Biden, mettant en avant une relance par le bas et un renforcement des pouvoirs des travailleurs dans le rapport de force, est théoriquement valable, mais se heurte à des limites politiques, à la résistance de Républicains qui n’ont pas hésité à sonner l’alarme sur les déficits qu’ils ne se gênent par ailleurs jamais à creuser, et à changer les débats économiques en débats culturels (on y reviendra). Des mesures d’une importance essentielle, comme l’expansion du Child Tax Credit, qui pour certains avaient permis en un geste de sortir des millions de la pauvreté, et était particulièrement ciblé sur les enfants,[ii] n’ont pas été maintenues malgré le succès observé. C’est dans ce cadre que la campagne Harris a commis une erreur essentielle : celle de ne candidater sur aucun grand programme politique rassembleur.

Que ce soit le Green New Deal, le plan Build Back Better, l’Affordable Care Act ou dans le cas de Sanders Medicare For All, les campagnes à gauche ont depuis des années été marquées par la mise en avant de grands plans sociaux et économiques permettant en un slogan reconnaissable d’identifier une candidature à une mesure, indépendamment de la réalisation de celle-ci plus tard. Cette manière de faire de la politique ne relève pas que d’une volonté de « trianguler » l’électorat, mais justement de l’influencer en allant faire campagne sur des enjeux du quotidien, comme la santé ou la reconstruction des infrastructures. Par contraste, la campagne de Harris s’est passée d’un tel programme.

Au lieu d’avancer une proposition ambitieuse, la candidate Démocrate s’est contentée de confirmer qu’elle n’avait rien à redire du mandat Biden et qu’elle n’en changerait rien si c’était à refaire. Cette position serait compréhensible si le mandat en question avait été marqué par un projet d’ensemble, ce qui n’était pas le cas. Si bien que les électeurs qui avaient été mobilisés en grand nombre au moment de l’élection de 2020 se sont retrouvés face à une campagne creuse.

Bataille pour la normalité

Il ne faut cependant pas surestimer la valeur des programmes : si le duo Trump-Vance a effectivement mis en avant quelques propositions marquantes, principalement sur le plan de la xénophobie en promettant des renvois massifs de personnes à la frontière, sa campagne a surtout été celle d’une revanche sur l’élection perdue de 2020 et, il faut le dire, d’une communication identitaire à tout crin, ce que les commentateurs semblent actuellement incapables de prendre en compte.

Or, ce qu’a proposé Kamala Harris sur le plan de la personnalité n’est pas plus lisible qu’en ce qui concerne le programme : en choisissant Tim Walz, un Démocrate concentré sur les sujets du quotidien et prompt à se mettre en scène comme un « type ordinaire », comme colistier, Harris a semblé dans un premier temps s’orienter vers une campagne opposant les Républicains « bizarres » au reste du pays. Cette stratégie ne manque pas de sens : après des années de « normalisation », la figure publique de Donald Trump était effectivement labellisée comme bizarre après la débâcle de la pandémie de Covid et l’élection de 2020. Le choix de JD Vance, un plumitif réactionnaire biberonné par le milliardaire Peter Thiel, a été peu judicieux : pendant ses premières semaines, celui-ci a multiplié les interventions pour s’expliquer de déclarations précédentes notamment à l’encontre des femmes, tandis que la campagne Démocrate pouvait le bombarder de remarques désobligeantes. Jusqu’à ce que l’obsession de plaire aux « Républicains modérés » reprenne le pas.

A partir de début octobre, la campagne des Démocrates change de ton. Le débat vice-présidentiel organisé entre Walz et Vance prend un ton normalisateur, dans lequel le colistier Démocrate en appelle au bon sens de son adversaire, avec des effets directs de regain de popularité de celui-ci.[iii] Dans la foulée, la Républicaine conservatrice Liz Cheney sort du bois en annonçant son soutien pour Kamala Harris, qu’elle se met à accompagner en tournée dans certaines villes de droite, pour porter un discours d’apaisement envers les indécis et les droitistes modérés et en appeler à leur patriotisme en les appelant à « mettre leur pays avant leur parti ». Harris invoque son désir d’ouverture en promettant d’inclure des Républicains dans sa future administration. Une stratégie correspondant exactement à l’opposé d’un durcissement à gauche, et qui n’a mené à rien : comme l’explique John Nichols dans The Nation, les électeurs de droite convaincus de l’inadéquation de Trump l’avaient déjà été après 2020 et n’allaient pas remettre un bulletin dans l’urne en sa faveur de toute façon.[iv] L’affichage de ce soutien risquait en revanche de coûter en ressources, en temps, et en image pour Harris : le 5 novembre, le camp Démocrate n’était tout simplement pas mobilisé, parce qu’au lieu de parler aux syndicats et aux travailleurs, la campagne s’était tournée vers la frange compréhensive et bourgeoise d’un parti de droite qui a depuis 4 ans tout bonnement accepté de devenir le Parti de Trump.

La faute au woke ?

Quelle place reste-t-il au « wokisme » dans l’explication de la défaite Démocrate ? Une part assez conséquente, pour qui accepte de regarder la réalité en face. Depuis 2021, « woke » sert de cri de ralliement à un camp conservateur qui n’a rien à proposer à son électorat en termes politiques. Cela n’est pas nécessairement nouveau, et la stratégie du Parti Républicain a depuis longtemps inclus le fait d’encourager et de travailler au corps un cœur politique qui se considère comme représentant la normalité américaine. Cette stratégie de la « majorité morale » n’est plus en apparence accompagnée d’autre chose que de l’anticipation de voir le camp opposé, qu’il soit décrit comme « politiquement correct », « woke », ou autre, s’arracher les cheveux face à une victoire conservatrice de plus.

Dans le discours de la droite, un certain nombre de sujets ont pris la place que pouvaient par le passé avoir des thématiques comme l’avortement ou l’action affirmative, qui sont encore présents comme des repoussoirs mais contre lesquels les Républicains ont obtenu deux victoires décisives en faisant tomber l’arrêt Roe v. Wade et en validant la requête d’une organisation fantoche, « Students for Fair Admissions » contre l’action affirmative.[v] Durant la campagne de 2024, ce sont sans surprise les thématiques des droits des personnes trans et de la « menace » des immigrés qui ont pris le relais. Dans les discours mis en avant par les électeurs de droite, les transitions de mineurs, la présence dans les compétitions sportives d’athlètes trans, et surtout le supposé « chaos » que feraient régner des immigrés dans le pays ont fleuri, accompagnés d’une vague de rejet de la médecine moderne de fond qui travaille particulièrement la droite américaine depuis le début de la pandémie de Covid. C’est de ce dernier mouvement qu’émerge par exemple le très médiatique Robert Kennedy Jr, candidat trumpien au poste de Secrétaire d’Etat à la Santé et défenseurs d’opinions anti-vaccins, anti-pasteurisation du lait, et surtout favorable au démantèlement de l’appareil de santé public du pays.

Les sujets « wokes » ont donc possiblement mobilisé une partie, voire une partie importante de l’électorat Républicain, issue de l’Amérique qui regarde Fox News et le Daily Wire. Mais en disant que c’est par un surinvestissement de ces sujets que les Démocrates ont perdu est faire une erreur d’analyse. En réalité la campagne de Harris a largement désinvesti les sujets dits “sociétaux” en tentant de se concentrer un peu sur l’économie, et beaucoup sur l’argument de la normalité face à Donald Trump et du bilan supposé positif de Joe Biden. Dans le même temps, la campagne de Trump, quant à elle, a accéléré le rythme en ce qui concerne ces sujets, depuis les déclarations de Trump sur le fait que les écoles publiques réaliseraient de force des opérations de réassignation génitale sur les enfants, jusqu’à l’agitation du nombre quasiment inexistant d’athlètes trans dans le pays. Mais plus encore, c’est en agitant l’antagonisme racial que Trump a hystérisé le débat.

« Ils mangent les chats et les chiens des gens qui vivent ici ! » Le cri à moitié terrorisé du vieux milliardaire a servi de base à de nombreuses parodies sur les réseaux sociaux. En septembre, lors du débat présidentiel qui l’oppose à Harris, Trump reprend à son compte une rumeur sur les habitants haïtiens de la ville de Springfield, dans l’Ohio. La rumeur, originaire d’activistes néo-nazis locaux, avait précédemment été reprise par son colistier.[vi] Comme toujours, mis au pied du mur, le camp trumpiste a insisté, Vance allant jusqu’à se flatter de mentir pour la « bonne » cause. Et la réaction de la campagne Harris a été… rien.

Au lieu de marquer au fer rouge l’image de son opposant comme celle de ce qu’il est, un milliardaire grabataire et corrompu, menteur, déconnecté du réel et obsédé par la dernière lubie d’influenceurs tout aussi déconnectés que lui, la campagne Démocrate a préféré concentrer ses efforts sur le fait de séduire un électorat Républicain « modéré » qui n’allait jamais voter pour elle. Les mêmes erreurs que lors de scrutins précédents, conduisant aux mêmes effets, l’establishment Démocrate a été incapable de retenir la leçon principale du trumpisme : il faut savoir jouer salement. Alors même que Trump commettait une à une toutes les fautes dont on accuse aujourd’hui la campagne Harris, allant jusqu’à déclarer qu’il fallait voter pour lui car c’était un homme blanc,[vii] au lieu de l’enfoncer lorsqu’il s’obsédait à propos de l’identité raciale de son adversaire[viii], les stratèges Démocrates ont préféré une stratégie de la navigation à vue, sans message clair, et surtout sans rappeler à l’électorat qui s’était déplacé pour cela en 2020 ce qu’impliquait une réélection de Trump. Et tout cela sans prendre en compte les refus de vote qui empoisonnent la vie particulièrement des électeurs Noirs de classes populaires, ou les autres nombreux obstacles structurels au vote. Le Parti Démocrate a préféré une fois de plus de tout gager sur « la branche du Parti qui sait gagner des élections », et les a perdues.

Et après ?

Les premières nominations promises par Donald Trump n’ont rien de rassurant et laissent présager la formation, s’il y parvient, d’un gouvernement aligné sur la branche dure de sa coalition. Il a promis de grandes coupes en matière de droits humains, de budgets, et une purge de l’administration publique au profit de divers lobbies privés. Cette analyse n’est qu’aggravée si l’on arrête de se maintenir dans l’obsession illusoire des commentateurs centristes qui ne veulent voir en Trump qu’un accident de l’histoire, plutôt que de comprendre en quoi il s’insère de façon parfaitement rationnelle dans l’appareil Républicain. Les institutions qui soutiennent sa campagne sont plus explicites que lui, à commencer par l’Heritage Foundation et son fameux « Projet 2025 », un programme visant une prise en main totale de l’appareil d’Etat par la droite dure.[ix] Même si l’entièreté des propositions n’est pas suivie, les mesures mises en avant n’ont rien de rassurant. Pire encore, des parties entières du pays, à commencer par la Floride, font d’ores et déjà office de véritables laboratoires du conservatisme contemporain, avec pour conséquence la mise en place de mesures de censure conséquentes, la suppression d’institutions vitales, et la mise sous coupe réglée idéologique de ce qu’il reste de service public. La simple réalité que constitue l’exil de personnes LGBT et particulièrement trans à travers le pays n’a, pour l’instant, attiré l’attention de personne, à la manière d’un canari à qui on ferait des reproches pendant qu’il se met à suffoquer au fond d’une mine de charbon.

Pour comprendre comment les Etats-Unis en sont arrivés là, il semble plus que jamais nécessaire d’arrêter de penser la droite comme une force purement « réactive », et la comprendre comme une actrice de l’histoire. Là où les Démocrates ont navigué à vue, le but du mouvement conservateur a été remarquablement cohérent depuis les années 80 au moins, et il ne suffit plus de psychologiser un électorat soi-disant « frustré » pour le comprendre, ce que bien peu, semble-t-il, veulent faire.

Au lieu de cela, la ligne directrice chez une partie des élites intellectuelles centristes ont décidé de blâmer les minorités sociales plutôt que la minorité que constitue effectivement la classe des experts et des grands donateurs, dont le poids sur le parti Démocrate continue de se ressentir. Ils partent ainsi en chasse au fantôme. Le cas fréquemment cité du terme « Latinx », utilisé pour décrire de façon non-genrée les personnes Latinos et Latina en même temps est parlant : cette formule est décrite comme causant une désaffection pour le parti Démocrate… qui ne l’a pas utilisé dans la campagne Harris-Walz. De même, sur les personnes trans, le « crime » de Harris est d’avoir dit il y a cinq ans qu’elle respecterait la loi. Une partie des Etats-Unis, qui penche à droite, est coupée de la réalité, et n’entendra jamais ce qu’une campagne Démocrate aurait à leur dire, mais il faudrait convaincre des gens qui croient encore en 2024 que Barack Obama n’est pas né sur le territoire national, en adoptant une meilleure rhétorique. Un électorat qui, en 2024, a sincèrement cru que quand elle disait qu’il fallait « avancer vers l’avenir sans être empêchés par le poids du passé », Harris confessait non seulement des convictions marxistes et maoïstes radicales, préparant à une dictature dans le pays, mais aussi sa participation au culte de Satan. Un électorat qui, pour partie, pense que les élites de gauche du pays volent des enfants pour absorber leur hormone de la peur à la manière de vampires. Bonne chance avec ça.

Plus que son adhésion à une soi-disant « idéologie d’extrême-gauche venue des campus américains », c’est la machine de propagande de la droite dure qui a nui aux Démocrates. Il est certes moins facile de la démanteler que de proposer des « concessions » sur les questions de racisme et de genre dans le pays. Et quelles concessions, d’ailleurs, quand l’existence même de personnes LGBT a conduit à hystériser la droite, étant associés dans certains cas à des menaces d’attentats ?

Dans une adresse faite à la gauche sur son échec, l’humoriste et présentateur télé Bill Maher lamentait ainsi une politique démocrate détachée des réalités, obsédée par les personnes trans, la maîtrise du langage, plutôt que par les libertés publiques, l’environnement, et le pouvoir d’achat. Il n’a pourtant abordé ces sujets que pour fustiger les écologistes, excuser les Républicains quand ceux-ci se faisaient les plus grands censeurs du pays, et ignorer l’économie pour parler de pronoms trans et du danger des moins de 100 femmes trans, dans un pays de 332 millions de personnes, participant à des compétitions sportives professionnelles ou amateur.[x] Cette fervente passion pour les problèmes concrets quotidiens des Américains n’a apparemment pas pénétré la rédaction de son show.

Comme Maher, les commentateurs réaco-compatibles courent actuellement comme des poulets sans têtes en criant tout le mal qu’ils pensent des personnes trans et des minorités raciales. La réalité est qu’une stratégie basée sur l’idée que la droite ne vous décrive jamais comme déviant est vouée à l’échec, en vertu du fait que, même quand il n’y a rien de déviant, la droite n’hésite plus à mentir. Et s’ils se mettent à chercher les coupables de la propagation de tels mensonges, il se peut bien que Bill Maher et ses semblables aient à tourner leur regard longuement, et durement, vers leur miroir.

Pour en savoir plus

Les nominations de Donald Trump semblent prendre beaucoup de monde de court. Il n’y a pourtant pas de surprise pour qui a prêté attention au mouvement conservateur depuis 2024 : le podcast "A Bit Fruity” revenait justement récemment sur les liens entre mouvement pour la “santé naturelle” et le “Do it yourself” et une certaine branche du mouvement réactionnaire. Dans la même veine il semble essentiel de s’intéresser au fonctionnement de la droite fondamentaliste. C’est le sujet de Wild Faith, le second ouvrage de la journaliste Talia Lavin, qui avait déjà marqué par sa plongée dans la droite en ligne. Enfin, le podcast “Behind the Bastards”, qui fait de longues analyses de figures réactionnaires, est revenu tout récemment sur la figure de Peter Thiel, le fossoyeur de la démocratie américaine.

D’autres raisons d’avoir peur

  • D’après des informations recueillies au péril de leur vie par deux journalistes de Valeurs Actuelles en infiltrant une conférence publique, Street Press, le journal d’investigation très tourné vers la documentation de la droite radicale française, ne serait pas exactement fan de l’extrême-droite. Une enquête à suivre…

  • Le Royaume-Uni a toutes les raisons de s’inquiéter : voilà que les plus jeunes se jettent désormais sur des sandwichs… wokes ! En effet d’après le Daily Fail, les plus jeunes abandonnent les garnitures classiques comme le jambon pour lui préférer des garnitures wokes, comme le poulet ou les olives.

  • Le Figaro continue pendant ce temps ses enquêtes de fond, en partant en plongée dans les travers horribles des méga-corporations. En octobre, c’est un scoop que fait émerger sa cellule enquête : dans un livre dérivé d’une série spin-off de la série Star Wars, un encart indiquerait qu’une des protagonistes est en réalité trans. Un tel matraquage auprès des enfants ne saurait être toléré !


[i] https://www.them.us/story/trump-ted-cruz-josh-hawley-republican-anti-trans-attack-ads-election

[ii] https://edition.cnn.com/2024/08/25/politics/child-tax-credit-explained/index.html

[iii] https://www.lemonde.fr/en/united-states/article/2024/10/02/vice-presidential-debate-candidates-are-trying-to-both-mobilize-their-base-and-appeal-to-undecided-voters_6727992_133.html

[iv] https://www.thenation.com/article/politics/liz-cheney-electoral-fiasco-kamala-harris/

[v] https://www.lemonde.fr/en/international/article/2023/07/04/by-abolishing-affirmative-action-the-us-supreme-court-is-blinding-itself-to-society-s-racism_6042649_4.html

[vi] https://www.npr.org/2024/09/10/nx-s1-5107320/jd-vance-springfield-ohio-haitians-pets

[vii] https://eu.usatoday.com/story/news/politics/elections/2024/02/24/trump-comments-black-voters-2024/72727110007/

[viii] https://www.bbc.com/news/articles/c06k07dn1zjo

[ix] https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/presidentielle-aux-etats-unis-autoritarisme-ultraconservatisme-qu-est-ce-que-le-projet-2025-qui-prepare-le-retour-de-donald-trump-a-la-tete-du-pays_6659904.html

[x] https://www.newsweek.com/how-many-transgender-athletes-play-womens-sports-1796006